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8 mai 2012 2 08 /05 /mai /2012 23:22

Ce conte a été écrit et illustré sur commande, à l'occasion d'un anniversaire.

Il a été offert en deux exemplaires, imprimés sur du papier recyclé et reliés à la main.

Les illustrations ont été réalisées au crayon et colorisées par ordinateur.


Le commanditaire et la personne à laquelle il a été offert m'ont gentiment

donné l'autorisation de le faire figurer en ligne

 

 

 

En ce temps là et en ce lieu, tout était noir.

 

Tout n’était pas noir à cause d’un architecte cosmique dépressif, non, tout était noir simplement parce que c’était ainsi.

 

Seuls quelques éclats de lumière venant d’un tout petit soleil blanc parvenaient parfois à traverser les nuages et habiller de reliefs la masse sombre de Noirroc. Noirroc, sans mystère étymologique, était une petite planète rocheuse peuplée d’une poignée d’habitants tous vêtus sans exception de noir (et parfois de quelques niveaux de gris), sur lesquels régnait tant bien que mal la reine Incrociata. En effet, aussi vrai que tout ce qui traverse le temps va irrémédiablement vers sa fin, Noirroc n’était plus de la première fraîcheur et se désagrégeait tant et si bien que l’on craignait sa destruction prochaine. Parfois, quelques voyageurs stellaires venaient y faire une pause, mais un geyser ou un volcan, aux éruptions de plus en plus fréquentes, écourtaient systématiquement leur séjour. On finit par éviter Noirroc. Notre histoire commence au moment où son état déjà bien avancé avait fini par faire fuir la quasi-totalité de ses habitants, tous partis en quête d’autres soleils plus lumineux. 

En fait de quasi-totalité, il serait plus simple de dire que deux noirrociens seulement n’avaient pas encore déserté : Incrociata et un seul de ses sujets dont le nom n’est plus utile puisqu’il n’existe personne pour se souvenir de ceux qui le lui ont donné. Ce petit homme n’avait guère le goût de l’aventure et même si Noirroc n’avait rien d’exaltant, il ne songeait pas même à en partir. Il passait ses journées à arpenter sa planète pour tenter de la rendre vivable. Il était un bon sujet, connu pour l’originalité du regard qu’il portait sur les choses. Sa loyauté envers la reine avait suffi à balayer toute pensée allant dans le sens de l’exil, pourtant Noirroc devenait de plus en plus hostile, on ne voyait quasiment plus la lumière du soleil tant les fréquentes éruptions avaient chargé l’air de cendres.

C’est en se rendant au palais pour délivrer à la reine le journal de ses activités qu’il constata qu’elle avait disparu. Un petit mot avait été griffonné à la hâte et laissé sur le trône.

« Mon pauvre ami, Noirroc ne sera jamais sauvée. Tu as été un sujet très loyal, mais avant que toute cette grisaille ne finisse par t’engloutir toi aussi, fais ton balluchon et pars chercher un peu de bonheur ailleurs. Nul doute que le regard unique que tu portes sur tout te permettra de le trouver mieux que quiconque. » Le sceau royal avait été rajouté au bas de la lettre.

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Le petit homme était terrassé : sa bonne reine avait disparu, il en serait bientôt de même pour sa planète. Il n’avait pas le courage de partir à l’aventure, non qu’il fût trop âgé, loin de là, mais il avait tant donné de son énergie pour Noirroc que toute autre chose lui semblait vaine.

 

Il décida de choisir un emplacement qui avait été épargné par les volcans et les geysers pour y attendre sa dernière heure : son chagrin était tel qu’il ne doutait pas que la mort le faucherait sans tarder.

Il s’assit et regarda devant lui, pensant à toutes les choses qu’il avait vues dans sa vie et à toutes celles dont l’existence lui était demeurée inconnue, aux choses fabuleuses et indescriptibles qu’il avait vues en rêve et oubliées dès le réveil, mais dont il avait gardé un sentiment de plénitude qui avait accompagné toutes ses sombres journées noirrociennes. La chape de nuages noirs était telle qu’on distinguait à peine la ligne d’horizon. C’était une belle nuit –mais s’agissait-il vraiment d’une nuit ? - pour mourir.

 

 


Le petit homme se laissait aller à ses lugubres pensées lorsqu’il entrevit quelques points de plus en plus lumineux se frayer un chemin à travers les nuages.

Il se leva d’un bond : ces points ressemblaient à de tout petits soleils et nageaient dans quelque chose d’étrange, qui n’était semblable à rien de ce qu’il connaissait. Il avait pourtant la réputation parmi ses pairs d’être un homme cultivé et intelligent, mais il n’y avait pas un seul mot dans tout son vocabulaire qui lui permettait de décrire ce qu’il voyait à ce moment précis.

Tout ce qu’il pouvait affirmer avec certitude, c’est que ce n’était pas du noir.

 

Il pensa d’abord qu’il était peut-être déjà mort, ou qu’il était endormi et que son imagination lui jouait des tours, mais est-ce que les morts et les dormeurs sentent encore au fond de leur poitrine un cœur tout prêt à exploser ?

Il était trop raisonnable pour penser que la mort n’était pas la fin de tout et sa curiosité était trop éveillée pour croire à l’hypothèse du sommeil.

 

Une fois l'impossible écarté, l'improbable est forcément la vérité. Cette chose était réelle, mais pour s’en assurer il allait falloir quitter Noirroc, chose que le petit homme ne s’était jamais imaginé faire auparavant.

 

Il resta un moment à contempler le ciel, son regard allant du sol de la planète au creux dans les nuages et inversement, jusqu’à ce qu’il s’aperçoive qu’il s’appesantissait de moins en moins sur la terre ferme et de plus en plus sur les nuages.

 

« Ah ! Je crois que je vais partir ! » S’entendit-il dire, à moitié surpris, à moitié effrayé.

Puis il reprit un peu d’aplomb : il s’agissait là d’un phénomène inexpliqué et il avait bien l’intention de comprendre son origine. « De plus » se dit-il « si ce phénomène trahit une technologie supérieure à celle de Noirroc, je trouverai peut être en le comprenant le moyen de sauver ma planète ! ».

 

Il ne possédait presque rien, à l’exception d’un grand sac qui lui avait jusqu’alors servi à transporter ses outils. Il le vida et s’en para, puis prit à pieds le chemin des nuages.

 

Il n’avait jamais voyagé et ces premiers pas dans le ciel lui parurent extrêmement bizarres. Au bout d’un moment il se trouva au cœur des nuages et avança sans voir devant lui, le cœur battant à tout rompre de peur et d’excitation.

 

Lorsque sa tête en émergea, il vit d’abord le ventre d’une créature immense au corps blanc, pourvue de deux sortes d’ailes plates et d’une très longue queue, de laquelle semblait sortir la chose étrange constellée de points de lumière qu’il avait vue en bas.

 

Il s’approcha et vit une grande femme harnachée à la créature (ou inversement) qui le regardait approcher avec un air étrange. C’était son écharpe qui était faite de ce curieux matériau.

 

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« Bonjour » lui dit-il.

« Bonjour » répondit-elle « viens-tu de Noirroc ? »

« Oui, j’en viens »

« Je suis venue observer les derniers jours de Noirroc. On dit que la planète dans ses dernières heures fera des révélations importantes, comme je ne comprends pas ce que cette prophétie signifie, je suis venue chercher des réponses sur place. Est-ce ce que toi aussi tu es venu faire ? »

« Non, je suis le dernier habitant, tous sont partis, même notre reine. Je voulais me laisser mourir sur Noirroc, mais j’ai aperçu un morceau de cette écharpe que vous avez au cou et le matériau inconnu duquel elle est faite a aiguisé ma curiosité. Alors je suis parti. »

Elle se pencha un peu pour le regarder de plus près « comment ? Tu viens de Noirroc ? » Dit-elle, surprise « ça alors, je ne l’aurais jamais cru ! » Mais elle n’ajouta rien et resta un moment dans ses pensées.

« A propos de votre écharpe... » Reprit le petit homme.

« Ah ! Oui » s’exclama-t-elle, semblant revenir de loin « je comprends, puisque tu dis être de Noirroc, tu ne connais sûrement pas le bleu. »

« Le bleu ? » interrogea le petit homme.

Et la grande femme hésita un peu, le regarda encore, puis se résolut à lui répondre.

« Le bleu, oui. Le bleu est une couleur, ma couleur. La couleur, c’est ce qui n’est pas noir ni blanc. Je sais qu’il en existe d’autres, mais nul ne sait combien exactement. Elles sont dispersées dans tout l’espace. Moi, j’ai le bleu. Je veille sur lui, je le transporte, j’en distribue des petits morceaux, car j’en suis la gardienne. Ca ne sert pas à grand-chose en définitive, je dois être objective sur ce point, mais il est néanmoins tout mon univers. »

 

Le petit homme semblait déçu : en effet, il comprenait bien que le bleu puisse être tout l’univers de quelqu’un, lui-même aurait aimé posséder le bleu, mais il ne voyait pas comment cette couleur pourrait sauver sa planète.

 

La grande femme remarqua sa mine sombre et lui demanda : « quelque chose ne va pas, petit homme du noir ? »

 

« Je suis parti de Noirroc pour courir après votre bleu parce que je pensais que cette chose étrange que je ne parvenais pas à nommer pourrait sauver ma planète, mais je comprends bien que cela ne risque pas d’arriver. Alors oui, même si ce bleu est très beau et apaise un peu mon cœur triste, je me dis que je ferais mieux de retourner vers ma planète finir ce que j’y avais commencé. »

 

La grande femme le regarda : « là d’où je viens, une légende raconte que celui qui parvient à posséder toutes les couleurs aura le pouvoir d’exaucer tous ses vœux. Ce n’est très probablement qu’une fable propre à bercer les petits qui ont beaucoup d’imagination, mais ma foi, tu es un petit homme et tu sembles avoir de l’imagination, alors qui sait ce qu’une légende peut produire comme effets sur toi. Tu sais, tout le monde n’est pas capable de voir les couleurs, certaines personnes que j’ai rencontrées ne voyaient même pas mon bleu chéri, c’est pour cela que nul n’a jamais pu les compter et les rassembler. Si cela peut t’empêcher de repartir trouver la mort sur Noirroc, je veux bien t’indiquer où tu peux en trouver une autre. Tu peux peut-être essayer de récupérer quelques morceaux de couleurs par-ci par-là et voir où cela te mène ? »

 

Le petit homme releva la tête, son visage s’était éclairé.

« Vous avez sans doute raison, c’est ce que je vais faire. »

 

« Tiens, alors, je te fais don d’une gourde, tu en auras besoin pour le voyage. Je n’attends rien de toi et te donne un peu de mon bleu pour t’encourager et pour récompenser la bravoure dont tu as fait preuve en quittant ta planète, en revanche, petit homme, ne crois pas que d’autres te donneront leur couleur facilement. Tu dois te préparer à faire tes preuves. Quant à moi, je vais repartir. Quelque chose me dit que les grandes révélations de Noirroc ne seront pas pour tout de suite. Je te souhaite un bon voyage et te conseille de partir dans cette direction.» Elle tendit le bras pour indiquer sa route au petit homme et tira les rênes qui la reliaient à la créature, puis disparut à la vitesse de l’éclair.

 

Le petit homme reprit la route dans la direction qui lui avait été montrée. Il marcha longtemps parmi les petits soleils éclatants, apercevant de temps à autres des planètes lointaines qui semblaient inhabitées. Enfin, il arriva aux abords d’une petite planète qui lui avait de prime abord semblé être recouverte de piques. En s’approchant, il constata qu’il s’agissait de grands meubles hauts comme des tours sur les étagères desquels étaient alignés des objets de formes semblables qui ne différaient les uns des autres que par la taille. Plusieurs d’entre eux étaient d’aspect étrange : il se dit que ce devait être ça, la couleur qu’il venait chercher sur cette planète.

 

 

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Il en fit le tour : quelques chats se prélassaient dans des flaques de lumière, d’autres étaient roulés en boule sur les étagères, mais à part eux, il n’y avait personne. Par mégarde, le petit homme effraya un des chats qui dormait près de lui et ce dernier partit à toutes jambes en miaulant ce qui devait être une poignée de remontrances assez salées.

 

« Qui est là », dit une voix qui venait d’au-dessus de sa tête.

Le petit homme leva les yeux et aperçut une femme, assise sur une étagère en hauteur, qui tenait un des curieux objets qui remplissaient les meubles sur ses genoux, ouvert en deux.

« Bonjour » répondit-il « je suis un voyageur, je viens de Noirroc pour vous demander un peu de votre couleur ».

La femme lui lança un regard étonné « comment ? » dit-elle « tu viens pour prendre un peu de ma couleur ??! Tu ne manques pas de toupet petit homme ! » Elle se retourna tout à fait vers lui et posa l’objet qu’elle tenait à côté d’elle.

« Sais-tu au moins quel est son nom, à cette couleur ? »

Le petit homme secoua la tête.

« Ma couleur s’appelle ‘vert’. Comment peux-tu espérer que je t’en donne un  peu si tu n’es pas même capable de la nommer ? » Mais le petit homme n’avait écouté ce qu’elle avait dit que d’une oreille très distraite. Il l’interrompit « pouvez-vous me dire madame ce que sont ces objets qui recouvrent vos meubles et pourquoi vous en teniez un dans vos mains ? »

« Comment ! » s’exclama-t-elle « tu ignores ce que sont les livres ?! Mais que vous enseigne-t-on à Noirroc ?! »

Devant le visage déconfit du petit homme, la femme reprit, sur un ton un peu plus calme « ces objets vois-tu, ce sont des livres. Ils renferment des histoires le plus souvent, mais aussi des leçons et toutes sortes de savoirs. Et les ‘meubles’ dont tu parles sont des bibliothèques. Elles servent à ranger et organiser les livres ». Elle lui tendit le livre qu’elle lisait un peu plus tôt.

Le petit homme savait écrire des notes et lire celles des autres, mais jamais il n’avait entendu parler de la possibilité de rassembler des centaines de notes pour raconter des histoires. L’idée lui plaisait beaucoup. Il parcourut le livre et y rencontra nombre de mots dont il ignorait le sens.

 

« Veux-tu que je t’enseigne les mots que tu ignores ? » lui demanda la femme, qui faisait de son mieux pour cacher son enthousiasme d’avoir un élève tombé du ciel. « Si tu es attentif et studieux, je te donnerai en récompense un peu de ma couleur »

Le petit homme accepta avec empressement.

 

C’est ainsi qu’ils passèrent plusieurs mois ensemble, au début ils parcouraient des listes de mots, tous n’étaient pas intéressants mais la femme était très exigeante sur le fait que le petit homme les apprenne aussi. « Savoir nommer les choses avec justesse est primordial. Lorsque l’on sait parfaitement à quelle image, à quelle idée correspond quel mot, on n’est jamais plus prisonnier de ses propres idées ni victime de celles des autres. Tout devient accessible grâce aux mots. » Le petit homme apprenait alors avec avidité. Puis ils passèrent à la lecture d’histoires et se mirent enfin à débattre sur le contenu de tout ce qu’ils avaient lu, c’est alors que les mots qui avaient parus inintéressants au premier abord révélèrent leur utilité.

 

La vie était plaisante sur la planète du vert. On ne s’y ennuyait pas. Il y avait toujours matière à s’extasier ou à se disputer et ces échanges faisaient beaucoup de bien au petit homme qui n’avait jamais vraiment eu l’occasion de tenir des discussions aussi érudites sur Noirroc. Noirroc...

« Diantre ! » se souvint alors le petit homme « j’avais presque oublié les raisons de ma venue ». Il alla donc voir la gardienne du vert pour lui rappeler qu’il devait partir. Elle s’offusqua aussitôt de cette nouvelle « Comment ?! Mais voyons, tu n’as pas appris encore le millième de ce qui fait le bagage d’un érudit ! J’espère que tu plaisantes ! Allons, allons, reste encore quelques semaines afin que nous puissions compléter un peu ton éducation, nous verrons au terme de ce délai ce que tu as dans la ciboulette »

« Madame » interrompit-il, « il me semble que la ciboulette est une herbe aromatique.  Ne vouliez-vous pas dire ‘ciboulot’ ? »

 

La femme se leva d’un bond, attrapa du bout des doigts un gros livre en haut d’une étagère et le lui lança au visage en criant « allez, déguerpis, petit impertinent ! Va chercher tes fichues couleurs et ne remets pas les pieds sur ma jolie planète ! »

 

Le petit homme, tout déboussolé, partit en courant et en serrant contre lui le livre qu’elle avait lancé. Il atteignit le ciel et se retourna furtivement vers la planète: il lui sembla que la femme aux livres lui souriait en lui faisant un signe d’adieu de la main. Il regarda le livre : c’était un livre vert ! Elle l’avait donc jugé digne de recevoir sa couleur ! Il l’ouvrit pour constater qu’il s’agissait d’une encyclopédie illustrée. Il reprit son chemin en serrant le dictionnaire contre son cœur.

 

Il marcha plusieurs heures avant d’atteindre une région du ciel où les étoiles (il avait appris que les tout petits soleils s’appelaient ainsi) se faisaient rares. Il continua longtemps, très longtemps dans le vide cosmique, jusqu’à entrevoir au loin deux sphères qui luisaient d’un étrange éclat. En s’approchant, il constata que l’une des deux était d’un gris très brillant et l’autre d’une couleur qu’il ne connaissait pas encore. Il décida d’opter pour cette dernière, et en prit la direction, heureux de sa bonne fortune.

Lorsqu’il posa le pied sur cette planète, il constata qu’il y faisait très froid et cette sensation lui paraissait étrangère à l’effet que la couleur nouvelle produisait sur lui. Au loin, une sorte d’échelle de corde semblait partir de la planète sur laquelle il se trouvait pour rejoindre l’autre, qui luisait à l’horizon. Il ouvrit son encyclopédie pour s’assurer de la justesse du vocabulaire qu’il appliquait aux choses qui l’entouraient. Tout autour de lui, des dunes de sable fin s’étendaient dans un silence glacial. Il marcha dans toutes les directions jusqu’à rencontrer une jeune femme dont la chevelure rappelait l’éclat de la planète voisine.

 

 

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« Bonjour Madame, je suis le dernier habitant de Noirroc, je voyage de planète en planète afin de rassembler des couleurs pour sauver mon monde. Auriez-vous la gentillesse de bien vouloir me dire quel est le nom de votre planète ? Ainsi que celui de la planète voisine ? Quant à la couleur que vous possédez, quel est son nom ? Consentiriez-vous à m’en donner un peu ? »

La jeune femme le regardait débiter son discours avec un air effaré. Au bout d’un long silence elle répondit : « Or, Argent, jaune, si tu la mérites. Maintenant, chut. »

« Je vous demande pardon ? » répliqua-t-il. Mais elle ne répéta rien.

Il fallut au petit homme un moment pour comprendre qu’elle lui avait donné en peu de mots toutes les réponses aux questions qu’il lui avait posées.

 

« Votre planète s’appelle donc Or ? Pourquoi est-elle reliée à la planète Argent ? Et comment puis-je mériter votre couleur ? Pourquoi vivez-vous si isolée, sur une planète déserte ? N’y a-t-il personne sur Argent avec qui vous puissiez discuter ? »

 

« Maintenant, chut ! » répliqua la jeune femme. Et elle s’assit sans faire un bruit. Le petit homme pensa qu’il serait poli d’en faire autant et se laissa tomber lourdement sur le sol en déplaçant beaucoup de petits grains de sable autour de lui, ce qui arracha une grimace à son hôte.

Il attendit.

Rien ne se passa.

Il se mit à jouer avec le sable alentours, à mastiquer bruyamment l’intérieur de ses joues, à ouvrir et refermer sa gourde, puis il se releva, fit quelques pas dans le silence assourdissant, regarda son hôte qui grimaçait à chacun de ses mouvements, puis il revint s’asseoir. La fatigue et l’ennui commencèrent à le gagner. Il s’allongea, immobile sur le sable glacé et attendit ainsi le sommeil. Bientôt, il n’entendit plus que le bruit du vent dans les dunes, ainsi que celui de son propre cœur qui battait avec régularité. Et au bout de quelques minutes, un murmure lointain le tira de sa léthargie.

 

C’était de une mélodie, elle semblait émaner de la planète Argent au-dessus de sa tête. Il tendit l’oreille, et entre quelques vagues de musique, il entendit une voix s’élever. Elle s’adressait à lui : « Petit homme de Noirroc, je vais répondre à tes questions. Je suis Parole. Ton hôte est ma moitié, Silence. Nous communiquons ainsi, elle en s’efforçant de garder le silence pour mieux m’entendre, moi en m’efforçant de ne parler qu’avec sagesse pour ne pas décevoir son écoute. Parfois nos planètes se rejoignent et nous retrouvons, puis elles s’éloignent de nouveau et nous recommençons ainsi. Nous sommes venues nous installer dans cette région reculée afin de mieux pouvoir apprécier nos qualités et défauts respectifs. J’existe par elle, elle par moi. »

Le petit homme voulut l’interrompre avec la question qui lui brûlait les lèvres « mais comment puis-je gagner sa couleur ? », mais Parole avait disparu.

 

Il se sermonna intérieurement d'avoir été trop impatient et se mit à réfléchir au moyen qui serait le meilleur pour mériter le jaune.

Silence le regardait. Il lui rendit son regard sans rien dire. Ils se contemplèrent ainsi longtemps.
Les grains de sable de la planète semblaient les observer et arbitrer un match imaginaire. A cette idée, le petit homme ne put s'empêcher de sourire. Au même instant et comme si elle aussi avait songé la même chose, Silence se mit à sourire. Ils se sourirent et échangèrent longtemps des regards amusés à chaque fois que le vent faisait s'emballer les cristaux de sable. Le petit homme commençait à se sentir vraiment à l'aise dans ce magnifique tumulte de vent et de sable. La musique d'Argent avait recommencé à se faire entendre, l'air froid renvoyait l'écho de sons infimes que de minuscules insectes produisaient loin de là. Tous deux étaient parfaitement immobiles et sereins, le petit homme n'avait plus du tout envie de parler désormais. Plusieurs mois passèrent ainsi, jusqu'à ce que Noirroc revienne à la mémoire de son exilé. Il fronça les sourcils. Silence en fit autant, puis se leva. Elle tenait un grain de sable dans sa main, le lança au petit homme qui le rattrapa à la volée. Il releva la tête: Silence lui indiquait une direction vers le ciel. C’est la voix de Parole qui se fit entendre lorsqu’elle ouvrit la bouche pour dire : "La prochaine planète est là-bas. Bon voyage".

Le petit homme évalua la distance qui le séparait du petit point indiqué à une petite journée de marche. Sans mot dire, il salua son hôte de la tête, empocha son grain de sable jaune et se mit en route.

Il avait largement sous-estimé la distance qui séparait Or de la prochaine planète. Il lui fallut plus de dix jours pour la rejoindre.

Lorsqu'il arriva, à bout de souffle, il fut accueilli par un jeune homme vêtu de blanc qui caressait un grand chien. Il n’y avait pas à première vue de couleur spéciale sur cette planète.

 

 

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« Bonjour » lui dit le jeune homme

« Bonjour » répondit-il.

« D’où viens-tu, ainsi accoutré, et que viens-tu faire ici ? » lui demanda le jeune homme qui l’observait sous toutes les coutures.

« Je suis originaire de Noirroc, mais j’ai déjà visité la planète Verte, la planète d’Or et de nombreuses régions de l’espace, afin de trouver les couleurs nécessaires pour retourner sauver ma planète qui se meurt. Cela explique mon accoutrement, j’ai beaucoup voyagé et je n’avais aucun vêtement de rechange, mes habits sont donc usés jusqu’à la corde. J’en suis navré. »

« Ce n’est pas grave va, nous allons essayer de te trouver de quoi t’arranger un peu. » Il partit chercher un peu de fil et une aiguille et les tendit au petit homme qui s’empressa de raccommoder ses vêtements. « Je ne sais pas me servir de ces outils » dit le jeune homme au voyageur lorsque ce dernier voulut les lui rendre « tu peux les garder. »

« Tu dois avoir faim » ajouta-t-il. Puis il alla chercher dans un grand garde-manger de quoi préparer un somptueux repas. Il sortit aussi une batterie de casseroles, de couteaux, de plats en porcelaine. « Je ne sais pas cuisiner, mais il y a ici tout ce qu’il faut pour te préparer à manger »

Le petit homme se mit aux fourneaux et prépara un copieux repas pour eux deux, sans oublier le grand chien.

Alors qu’ils mangeaient, le petit homme se risqua à demander « sauriez-vous où je pourrais trouver une couleur par hasard ? J’ai déjà le bleu, le vert, le jaune, mais je ne sais pas combien d’autres couleurs je dois encore trouver et j’ai déjà laissé passer beaucoup de temps» mais le jeune garçon ne répondit pas. A la fin du repas, il se pencha à l’oreille de son chien et lui murmura quelque chose. Ce dernier s’éclipsa discrètement.

Le petit homme de Noirroc était un peu déçu, mais il était tellement fourbu par son long voyage qu’il demanda à son hôte l’hospitalité pour la nuit avant de reprendre sa route.

Le jeune homme lui montra un tas de belles planches et de clous et lui dit « Je ne sais pas monter un meuble, mais j’ai là une petite boîte à outils et tout le matériel qu’il faut, si tu souhaites t’en fabriquer un ». Le noirrocien se dit qu’il pouvait tout aussi bien dormir par terre, mais après avoir jeté un œil alentours, il remarqua que son hôte n’avait pas de lit lui-même. Il se dit alors qu’il pourrait le remercier en lui en fabriquant un. En fait de petite boîte à outils, il s’agissait de la panoplie complète du bricoleur, et le petit homme en fut très impressionné. Il fabriqua en un rien de temps deux lits robustes et se coucha dans l’un des deux.

Le lendemain matin arriva et alors que le petit homme était sur le point de partir, il remarqua tout un tas de choses qu’il pourrait arranger et réparer avant de repartir. La planète était truffée de beaux matériaux et de ressources fabuleuses, mais son occupant s’obstinait à dire qu’il ne savait rien faire et préférait se contenter de vivre sans les objets qui étaient usagés plutôt que de se risquer à les réparer en dépit du bon sens. « D’ordinaire, j’envoie mon grand chien racheter ce qui me manque sur les planètes alentours, mais il est parti en course et ne revient pas. Tout cela devra attendre son retour ! ». Mais le petit homme ne l’entendait pas ainsi et il resta, se disant qu’il repartirait au retour du chien. En s’occupant ainsi des problèmes de son hôte, il réalisa qu’il n’avait jamais autant eu l’occasion de prendre soin de lui-même.

Les deux compères, en vivant côte à côte, se rendirent compte que leur qualité de vie respective s’en trouvait améliorée. Si l’un avait un problème, l’autre trouvait une solution et si l’autre n’osait pas entreprendre quelque chose, l’un l’y poussait.

Le petit homme s’inquiétait de ce qu’il adviendrait de son compagnon quand lui devrait reprendre la route, aussi, il se résolut à bricoler en secret une machine qui leur permettrait de communiquer à travers l’espace et de continuer à se conseiller mutuellement sans se soucier de la distance.

 

Un soir, le grand chien revint, tenant dans sa gueule un petit sac qu’il donna à son maître. Ce dernier, après avoir longuement flatté l’encolure de son compagnon à quatre pattes, extirpa du sac un petit morceau de papier et un objet qui avait une lueur étrange. Il se tourna vers le petit homme de Noirroc et lui dit « Tiens mon ami, la note dit qu’il s’agit de la couleur Orange.  Moi je ne vois rien, mais j’ai confiance en mon compagnon : je lui ai demandé de trouver une couleur, je sais que c’en est une. Tu peux reprendre la route ! Mon chien et moi nous en sortirons très bien sans toi ! »

 

Le petit homme n’en revenait pas : son ami avait envoyé quérir pour lui une couleur. Il n’osait pas imaginer combien cette merveille avait pu lui coûter. Il tendit le bras en tremblant vers l’objet, qui n’était autre qu’un monocle cerclé de métal à la teinte très vive.

« Allons, allons » dit le jeune homme, qui ne parvenait pas à cacher son émotion  « va-t-en et laisse nous donc ! »

 

Quelle ne fut pas sa surprise lorsque le petit homme lui tendit un des combinés de sa machine en lui expliquant son fonctionnement. « Ainsi, nous pourrons toujours communiquer, et ces adieux n’en sont pas vraiment ! »

 

Le jeune homme se ressaisit fort promptement et lui dit en riant « Ah ! Bon ! Eh bien, puisque tu ne pars pas vraiment, nous pouvons faire l’impasse sur les adieux déchirants et encore prendre quelque chose à boire tant que je te fais appeler un transporteur ! » Sur ces mots, il envoya de nouveau son grand chien quérir un transport, et ils burent tout deux une bonne bouteille que, bien sûr, le petit homme de Noirroc eut pour mission de déboucher.

 

Quand le transporteur arriva, il les trouva tous deux ivres. Il invita le petit homme de Noirroc à monter derrière lui et les adieux furent brefs et enjoués.

 

Le petit homme eut la sensation que le monde se dérobait sous ses pieds, et que le véhicule qui le portait tanguait. Lorsqu’il regagna un peu ses esprits, il réalisa que la sensation n’était pas si étrangère à la réalité : le transporteur (dont il ne voyait que le dos et l’improbable chevelure) et lui chevauchaient en réalité une créature immense faite pour moitié de chair et pour autre moitié de mécanique. Le front de l’animal était orné d’une longue corne et ses flancs portaient de lourdes sacoches qui débordaient d’enveloppes de toutes tailles.

 

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« Vous êtes remis mon petit Monsieur ? » demanda le transporteur, sans se retourner.

Le petit homme regarda tout autour de lui comme pour s’assurer de sa réponse et s’apprêtait à acquiescer lorsqu’il aperçut tout autour de lui des étincelles qui n’étaient ni noires, ni blanches, ni bleues, ni vertes, ni jaunes, ni oranges. « Ca par exemple » s’exclama-t-il « vous êtes le gardien d’une couleur ! »

« Oui, en effet Monsieur, je suis le gardien du rouge. Ca ce n’est pas commun, les gens qui voient ma couleur. Je ne suis pas vraiment transporteur à vrai dire, mais j’ai trouvé votre chien joli et j’aime bien la région, donc j’ai accepté la mission. En réalité, je suis livreur de bonnes nouvelles. »

Le petit homme ne se tenait plus de joie : une autre couleur était à sa portée ! Il craignait qu’il ne fût pas poli de demander tout de suite au livreur de lui donner un peu de sa couleur, donc il préféra lui faire un peu la conversation d’abord. « Livreur de bonnes nouvelles ? Comment faites-vous pour cela ? Vous ouvrez les notes et confiez à quelqu’un d’autre la corvée de distribuer les mauvaises nouvelles ? » demanda-t-il.

« Pas du tout mon petit monsieur ! Je livre absolument toutes les nouvelles, mais mon rôle est de trouver et révéler l’aspect positif de chacune, même des plus mauvaises. Ainsi, lorsque je quitte une personne à qui je viens d’annoncer une très mauvaise nouvelle, ma mission est réussie si cette personne a malgré tout le sourire, aussi petit fut-il. C’est un travail difficile, car je n’ai jamais de répit, mais il est très gratifiant. »

« Et pensez-vous que vous pourriez me donner un peu de votre couleur ? » se risqua à demander le petit homme, bien conscient que cela n’avait pas grand-chose à voir avec le potage.

Le livreur se mit à rire : « Mais c’est que je ne peux pas vous en donner si facilement ! Voyez-vous, je n’ai qu’un seul objet palpable fait de rouge. Les étincelles que vous voyez autour de ma licorne ne peuvent pas être attrapées, ni contenues, je ne peux donc pas les donner. Et il va de soi que je ne donnerais pas cet objet à n’importe qui : je ne sais pas en quoi vous, parmi tous les autres, devriez la mériter davantage. »

« Mais il ne peut pas y avoir tant de candidats potentiels que cela: l’univers me semble bien vide ! » s’exclama le petit homme.

« Vous le croyez vraiment ? L’univers est rempli de personnes ! Certes, peu d’entre elles voient les couleurs, encore moins en voient plusieurs, mais je ne vois pas ce qui vous distingue ! »

« Je possède déjà quatre couleurs : une qui s’appelle bleu, puis le vert, le jaune, le orange, et je les vois toutes, en plus de la vôtre. » se précipita d’ajouter le petit homme. 

« Hum, oui, c’est en effet assez impressionnant... Mais quand bien même, que ferez vous de ces couleurs si vous parvenez à les réunir toutes ? »

« Je compte les rassembler afin d’obtenir le pouvoir de sauver ma planète qui se meurt. »

« Ah ah, on vous a raconté cette bonne vieille légende n’est-ce pas... Eh bien soit, mais qu’allez vous faire d’une planète toute fraîche ? Des visiteurs s’y précipiteront des quatre coins de l’univers, d’autres viendront carrément s’y installer, avec leurs espoirs, leurs trivialités et leurs tempéraments compliqués et vous qui n’avez croisé qu’une poignée d’âmes qui vivent de toute votre existence, vous allez vous trouver bien malheureux parmi toute cette masse. Cela me surprendrait que vous soyez capable de survivre à une telle variété de personnes. »

Le petit homme de Noirroc n’avait jamais songé à cela et il était forcé d’admettre que le livreur avait raison. Le problème semblait inextricable. Il réfléchissait à toute vapeur : peut-être aurait-il dû se tempérer davantage avant de s’embarquer dans cette aventure, s’assurer qu’il avait les épaules pour mener à bien la mission qu’il s’était fixée. Sa mine s’était assombrie.

Voyant cela, le transporteur lui dit : «  Voilà ce que nous allons faire : restez avec moi sur la licorne. Nous ferons mes tournées ensemble, je vous ferai voyager dans tout l’univers et lorsque vous connaîtrez assez de monde, je vous donnerai ma couleur. »

 

Le pacte se scella de lui-même. Le livreur et le petit noirrocien parcoururent ensemble l’univers entier. Le livreur semblait connaître tout le monde. Chaque personne à laquelle il livrait les nouvelles les voyaient arriver avec une joie mêlée d’appréhension, mais il savait semer l’espoir et l’enchantement dans les cœurs. Les mauvaises nouvelles étaient estompées, les bonnes devenaient meilleures encore. Le petit homme de Noirroc découvrit la grande diversité des âmes qui peuplaient l’univers. Les fous talentueux, les tristes égocentriques, les philanthropes originaux, les gens du commun qui brillaient chacun d’un feu discret et différent, les abrutis, les amuseurs, les coquets et les beaux parleurs.

Au bout de quelques mois de voyages, le livreur lui confia même la tâche de délivrer à sa place les missives qui leur étaient destinées à tous ces gens, d’abord les bonnes nouvelles, puis les nouvelles neutres et enfin les mauvaises. La tâche était ardue et éreintante, mais la satisfaction était telle qu’ils continuèrent ainsi très longtemps à s’épauler tous deux, de planète en planète.

 

Puis un jour, le livreur sortit de sa poche une enveloppe rouge, et il la tendit à son compagnon.

 

« Voilà » dit-il « tu as rempli ta mission, je te crois désormais capable de comprendre toutes les bizarreries de chaque ‘autrui’, et de communiquer avec chacun. A mon tour de remplir ma part du marché. »

 

Le petit homme de Noirroc prit l’enveloppe et remercia chaleureusement son ami.

 

« Maintenant, veux-tu que je te dépose quelque part avant de reprendre ma besogne ? » demanda le livreur au petit homme.

 

Mais où allait-il bien pouvoir se rendre désormais ? Nulle part, dans leur épopée, ils n’avaient croisé d’autre couleur. Si bien que le pauvre noirrocien avait fini par se demander s’il avait la capacité de voir les couleurs qui restaient.

 

« Non, merci mon ami, je dois trouver les autres couleurs et je ne saurais pas où te demander de m’emmener. »

« Alors va. Je ne m’inquiète pas pour toi, il y a quelque chose dans ton regard qui inspire la confiance et la foi, je suis sûr que tu exauceras ton rêve. »

 

Ils se quittèrent ainsi et le petit homme reprit sa route.

 

Il y avait quatre années qu’il avait quitté sa planète d’origine et il craignait qu’il ne fût trop tard pour la sauver. Il marcha toute une année encore, dans l’espoir de trouver d’autres couleurs, mais ce fut en vain. Il retourna visiter ses amis gardiens des couleurs, rempli d’attentes qui ne tardèrent pas à être toutes déçues.

 

Au terme de cette année, il se remit en route pour Noirroc, plus désespéré que jamais. Il irait mourir là-bas, comme il aurait dû le faire il y a bien longtemps... A la réflexion, il ne regrettait pas son voyage, ni les belles rencontres qu’il avait faites, mais il se dit qu’il avait importuné beaucoup de monde avec ses espérances farfelues et qu’il aurait mieux fait de laisser toutes ces personnes à leur tranquillité.

Sa tristesse se transformait par à-coups en colère : il avait avec lui le bleu, le vert, le jaune, le orange, le rouge, il avait appris à nommer les choses, à estimer le silence et la parole, à s’occuper d’autrui, à comprendre et à communiquer avec l’univers entier. Quelle leçon pouvait-il bien rester à apprendre ?

 

S’emporter et s’interroger davantage était vain. Il vit au loin la masse de Noirroc et cette vision désolante acheva tout à fait de l’en convaincre. Une petite écharpe de bleu constellé d’étoiles scintillait au loin : il était donc arrivé au bon moment pour assister à la toute fin de sa planète.

 

Ses yeux s’embuèrent, mais il continua d’approcher.

 

Noirroc n’était plus qu’une boule de liquide noir en fusion, agitée ça et là de spasmes qu’il distinguait à peine à cause de ses larmes. Il discerna pour la première fois le reflet de son visage sur la surface de Noirroc, qui était devenue légèrement réfléchissante. Quelque chose lui sembla être curieux. Il s’approcha encore. Ses larmes stoppèrent lorsqu’il entrevit, à la place de ses deux iris, deux petites zones qui n’étaient faites ni de noir, ni de blanc, ni de bleu, ni de vert, ni de jaune, ni d’orange, ni de rouge.

 

Il lui fallut un moment pour réaliser...

 

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...que lui aussi, possédait une couleur.

 

Tout ce temps et toutes ces rencontres, toutes ces recherches et toutes ces déceptions, toutes ces errances et toutes ces joies, pour finalement réaliser que lui aussi, tout petit homme qui venait du noir, était en fait le gardien d’une couleur.

 

« Et pas n’importe laquelle », se dit-il. « Cette couleur est de loin la plus belle ! »

 

Il fallait maintenant la nommer.

On a déjà dit que son nom à lui importait peu, car il n’existait plus personne pour se souvenir de ceux qui le lui avaient donné, sauf lui-même. Et comme ses parents s’appelaient Viktor et Auléa, il baptisa sa couleur ‘violet’.

 

En son for intérieur, le gardien du violet savait bien qu’il ne pourrait plus sauver Noirroc. Il savait bien aussi qu’il n’avait pas trouvé toutes les couleurs, qu’elles étaient encore une infinité et que sa vie entière ne suffirait pas à toutes les trouver. Il savait en revanche qu’il saurait les nommer avec bon sens, qu’il saurait les faire cohabiter avec harmonie, comme Parole côtoie Silence, qu’il saurait les utiliser pour accomplir de bonnes choses et qu’il saurait les distribuer alentours.

 

Il décida donc de formuler le vœu que tout le monde puisse voir toutes les couleurs.

 

Et c’est ce qui arriva.

 

 

Noirroc n’était plus. Plus rien ne retenait désormais le Petit Homme Duquel Venaient les Couleurs. Il prit donc une route.

 

N’importe laquelle.

 

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-FIN-

 

 

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commentaires

A
Bonjour,<br /> C’est une très belle histoire. Merci d’avoir pris le temps de la publier sur ton blog.
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